Journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle

Par Johanne Jutras

« L’exploitation sexuelle est une des pires formes de négation des droits fondamentaux de la personne humaine.[i]» (Groupe international de paroles de femmes, GIPF.)

Créée le 4 mars 2009 par le GIPF, la Journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle souligne en ce jour ses 15 ans d’existence. L’exploitation sexuelle est considérée comme un fléau; voici quelques chiffres rapportés par le GIPF : 4 millions de nouvelles victimes chaque année; 500 000 femmes victimes de traite à des fins de prostitution par année et un chiffre d’affaires de la prostitution estimé dans le monde à 1 000 milliards de dollars américains.

Contrôlée par le crime organisé, l’exploitation sexuelle peut néanmoins cesser en supprimant la demande de services sexuels auprès de femmes et d’enfants. C’est en attribuant la responsabilité aux clients que l’on peut faire disparaître la demande. Oui, c’est possible, et nous savons comment faire!

Qu’est-ce qui peut dissuader les clients d’acheter du sexe?

En novembre 2022, l’équipe de la psychologue clinicienne américaine Melissa Farley rendait publique une recherche effectuée auprès de 763 acheteurs de sexe dans six pays : (Allemagne, Cambodge, États-Unis, Écosse, Royaume-Uni et Inde)[i]. Lors de ces entretiens anonymes, les acheteurs de sexe ont fourni des informations franches sur la prostitution et la traite qui reflétaient des décennies de témoignages de personnes survivantes. De plus, les clients de cinq de ces six pays ont été questionnés sur ce qui pourrait les dissuader d’acheter des services sexuels. Voici les principaux constats rapportés par cette étude.

Les acheteurs de services sexuels ont déclaré aux intervieweurs que l’inscription de leur nom dans un registre des délinquants sexuels serait un moyen de dissuasion très efficace. Ils n’aiment pas l’idée d’être étiquetés comme des prédateurs sexuels, ce qui les placerait dans la même catégorie que les pédophiles et les violeurs.

Le second moyen de dissuasion le plus efficace est l’exposition publique des noms des hommes qui achètent des services sexuels. Ils seraient alors stigmatisés, à juste titre. La possibilité de voir leur nom rendu public sur Internet, dans les journaux ou sur une affiche est également un facteur de dissuasion important. Tout aussi efficace qu’une peine de prison, qui serait un moyen de dissuasion pour 82 % des hommes interrogés. La moitié (49 %) des acheteurs de sexe allemands ont déclaré qu’une peine d’emprisonnement, quelle qu’elle soit, les dissuaderait.

Enfin, le moyen de dissuasion le moins efficace, noté par les acheteurs de sexe dans cinq pays, serait un programme éducatif sur la prostitution. Voir le tableau ci-dessous :

Moyens de dissuasion%
Figurer au registre des « délinquants sexuels » avec les violeurs et les pédophiles87
Voir ma photo ou mon nom dans le journal local ou sur une affiche85
Voir ma photo ou mon nom sur Internet83
Passer un certain temps en prison82
Envoyer une lettre à ma famille disant que j’ai été arrêté pour avoir sollicité une femme à des fins de la prostitution77
Avoir une sanction pénale plus lourde76
Payer une amende plus élevée74
Avoir une suspension de mon permis de conduire73
Avoir une confiscation par la police de mon vélo ou de ma voiture71
Être obligé d’effectuer des travaux communautaires59
Suivre un programme éducatif sur la prostitution48

Pas de clients — pas d’exploitation sexuelle

En mai 2022, la Coalition nationale sur l’exploitation sexuelle des États-Unis (NCOSE) présentait 11 recommandations visant à réduire la demande des acheteurs de sexe[ii].

  • Allouer prioritairement les ressources des forces policières à l’arrestation des acheteurs de sexe, et les traduire en justice;
  • Créer des programmes d’aide financière permettant d’aider les administrations locales et régionales à entreprendre des réformes de réduction de la demande des acheteurs de sexe;
  • Donner des amendes obligatoires aux acheteurs de sexe jugés coupables et utiliser les fonds recueillis pour aider les organismes qui dispensent des services de sortie aux survivantes;
  • Créer des structures de sanctions de plus en plus sévères pour les acheteurs de sexe récidivistes;
  • Contrer les messages médiatiques dans les secteurs de l’éducation et de la santé publique qui normalisent l’achat de sexe;
  • Créer et appliquer des politiques d’entreprises ou d’organisations interdisant l’achat de services sexuels;
  • Mettre en œuvre des campagnes de prévention ciblées et axer les communications dissuasives sur des « coups de pouce » comportementaux;
  • Poursuivre au civil les touristes sexuels et les acheteurs de sexe;
  • Poursuivre les acheteurs de sexe en tant que complices du trafic sexuel;
  • Prévenir l’exposition des enfants à la pornographie;
  • Développer et affiner les stratégies existantes de réduction de la demande pour cibler les acheteurs de sexe les plus actifs et privilégiés.

La prostitution est un crime

Rappelons que l’achat de services sexuels constitue un crime au Canada, qui malheureusement reste peu ou non puni à ce jour, malgré l’adoption de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LC 2014, c. 25). En effet, après huit années de mise en application de cette loi, il est étonnant de constater le nombre peu élevé de déclarations d’infractions liées à l’achat de services sexuels au Canada, alors que « la plupart des femmes prostituées disent subir en moyenne cinq clients par jour, certaines, plus de vingt[iii] ». De plus, selon le Rapport de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs, une part de la population ignore que l’achat de services sexuels est criminel, d’où l’urgence de mener des campagnes de sensibilisation à ce sujet auprès du public. Enfin, la banalisation de l’industrie du sexe dans les médias et, dans certains cas, par les prostituées elles-mêmes, déresponsabilise les clients et facilite le travail des proxénètes. Pourtant, les acheteurs de sexe sont responsables de graves préjudices physiques et psychologiques dont des agressions sexuelles, des viols et des meurtres de femmes et d’enfants qui sont d’ailleurs recrutés, trompés, contraints, exploités, contrôlés, pour les empêcher de s’échapper, par des coups et blessures, la toxicomanie et la torture psychologique[iv].

Qu’est-ce qu’on attend pour agir?

Johanne Jutras

Membre du Comité Vigilance-médias

Centre des femmes de la Basse-Ville


[i] Groupe international de paroles de femmes. Journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle, 2023, https://www.journee-mondiale.com/167/journee-mondiale-de-lutte-contre-l-exploitation-sexuelle.htm.

[i] Farley, Melissa et coll., Men who pay for sex in Germany and what they teach us about the failure of legal prostitution: a 6-country report on the sex trade from the perspective of the socially invisible‘freiers’, Berlin, novembre 2022, https://prostitutionresearch.com/.

[ii] NCOSE. Pourquoi les acheteurs de sexe doivent être arrêtés et comment le faire, 2 mai 2022, https://endsexualexploitation.org/wp-content/uploads/How-To-Stop-Sex-Buying-updated-2.8.22.pdf.

[iii] Malarek, Victor. Les prostitueurs : Sexe à vendre… Les hommes qui achètent du sexe, Mont-Royal : M Éditeur, 2013, p. 12.

[iv] Miller, Michelle. Témoignage devant le Comité permanent de la Justice et des droits de la personne, 2009, https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/402/JUST/Evidence/EV3853912/JUSTEV17-F.PDF.


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