Par Johanne Jutras, militante au comité Vigilance-Médias
En cette Journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2022, des actions doivent être réalisées pour éliminer cette pratique au Québec. En effet, les mutilations génitales féminines (MGF) qui recouvrent l’ensemble des interventions qui consistent à altérer ou à léser les organes génitaux des fillettes et des femmes pour des raisons non médicales constituent une violation de leurs droits, notamment de leurs droits à la santé, à la sécurité et à l’intégrité physique, ainsi que de leur droit à la vie puisque ces pratiques ont parfois des conséquences mortelles.
Quelles sont les conséquences des MGF?
Les filles qui subissent des mutilations génitales féminines font face à des complications à court terme, telles que des douleurs violentes, choc, hémorragie, tétanos ou infection bactérienne, rétention d’urine, ulcération génitale et lésion des tissus adjacents, infection de la plaie, infection urinaire, fièvre et septicémie. En cas de forte hémorragie ou d’infection grave, les mutilations génitales féminines peuvent entraîner la mort.
À long terme, on peut citer l’anémie, la formation de kystes et d’abcès, la formation de cicatrices chéloïdes (tumeurs fibreuses), des lésions à l’urètre entraînant l’incontinence urinaire, la dyspareunie (rapports sexuels douloureux), la dysfonction sexuelle, l’hypersensibilité de la zone génitale, le risque accru de transmission du VIH et de complications lors de l’accouchement, ainsi que des répercussions psychologiques.
Lors de l’accouchement, les femmes qui ont subi des MGF sont nettement plus susceptibles de devoir recourir à une césarienne ou à une épisiotomie, d’être hospitalisées plus longtemps et de souffrir d’hémorragie post-partum que les autres. Pour les femmes qui ont subi une infibulation, le travail est prolongé et compliqué pouvant parfois entraîner la mort du fœtus et l’apparition d’une fistule obstétricale. Le risque de décès à la naissance est plus élevé chez les nouveau-nés dont la mère a subi les formes les plus graves de MGF. Selon des estimations très récentes de l’OMS, de l’UNICEF, de l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population), de la Banque mondiale et de la Division de la population des Nations unies, la plupart des pays dans lesquels la prévalence des MGF est élevée affichent également un taux élevé et un nombre important de décès maternels.
De plus, les MGF peuvent entraîner des répercussions psychologiques durables sur les femmes et les filles qui les subissent. Le stress psychologique ressenti par les petites filles qui subissent des MGF peut causer des troubles du comportement qui sont étroitement liés à une perte de confiance envers leur entourage. À plus long terme, les femmes peuvent souffrir de dépression et d’angoisse. La dysfonction sexuelle peut également entraîner des conflits au sein du couple ou conduire au divorce.
Combien de filles et de femmes sont touchées? La pratique des MGF touche plus de 200 millions de femmes et de filles dans le monde. C’est un problème mondial qui se produit dans plus de 90 pays à travers l’Afrique, l’Asie, le Moyen-Orient et au sein des communautés de la diaspora qui ont immigré en Europe occidentale, en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Seuls 30 pays communiquent des données nationales sur le nombre de filles et de femmes excisées.
Mais d’où vient cette pratique des MGF?
Ses origines exactes sont inconnues, bien qu’il soit possible qu’elle ait commencé comme un moyen d’assurer la paternité ou d’empêcher l’excitation des femmes, ainsi qu’être liée à la préparation des filles au mariage. L’existence de la pratique est antérieure à la Chrétienté et à l’Islam. Des momies égyptiennes présenteraient certaines caractéristiques typiques des MGF. L’excision est presque certainement liée à l’esclavage plus tard. En 1609, le missionnaire portugais Joao dos Santos a découvert que les femmes vendues comme esclaves dans la région située juste à l’intérieur des terres de Mogadiscio étaient excisées afin d’assurer leur virginité et leur chasteté.
Encore récemment, dans les années 1950, la clitoridectomie était pratiquée en Europe occidentale et aux États-Unis pour traiter certains états et comportements perçus comme des maladies : hystérie, épilepsie, troubles mentaux, masturbation, nymphomanie et dépression. En d’autres termes, les MGF ont été pratiquées, à toutes les époques et sur tous les continents, par de nombreux peuples et sociétés.
Les filles subissent l’excision en raison d’une tradition profondément enracinée parmi les communautés qui la pratiquent. C’est une norme sociale qui est maintenue par une communauté entière ; hommes et femmes pareillement. La pratique de l’excision des filles est souvent basée sur une croyance traditionnelle selon laquelle il est nécessaire de contrôler la sexualité d’une fille et d’assurer sa virginité jusqu’au mariage ou de la préparer au mariage. Une fille qui n’est pas excisée sera souvent considérée comme inapte au mariage. Il y a aussi souvent des idées fausses selon lesquelles une fille non excisée sera impudique, impure, malchanceuse ou moins fertile. Dans certaines communautés, il existe également des idées fausses selon lesquelles exciser les filles est une obligation religieuse.
Qu’en est-il au Canada?
L’organisme End FDM Canada Network estime qu’il y a plus de 100 000 survivantes de cet acte barbare au Canada et que des milliers de filles sont probablement à risque de subir une MGF dans l’avenir.
Les dispositions du Code criminel, notamment celles visant les voies de fait graves, s’appliquent à la mutilation d’organes génitaux féminins. Le point (3) de l’article 268 précise que l’excision constitue une blessure ou une mutilation. De plus, il prévoit expressément que le consentement à une telle mutilation n’est valable que s’il est donné dans le cadre d’une opération chirurgicale pratiquée par une personne qui a le droit d’exercer la médecine en vertu du droit provincial, pour la santé de l’intéressée ou que si, dans le cas d’une adulte, l’acte en cause ne comporte pas de lésions corporelles. Toute personne, comme un parent, qui commet ou participe à des MGF peut être accusée d’avoir commis des voies de fait graves.
Par ailleurs, il est illégal d’envoyer une enfant à l’extérieur du pays pour y subir une MGF en prétextant des vacances. La personne reconnue coupable est passible d’une peine d’emprisonnement de 14 ans. Cependant, en 2018, soit 20 ans après qu’elles avaient été ajoutées au Code criminel canadien, aucune poursuite pour MGF n’avait été engagée au pays.
De plus, le Code criminel prévoit à l’article 273.3 (1) c) que quiconque fait passer à l’étranger une personne âgée de moins de 18 ans en vue de lui faire subir une excision, une infibulation ou la mutilation complète ou partielle des grandes lèvres, des petites lèvres ou du clitoris commet un acte criminel.
Or, l’honorable Mobina S.B. Jaffer déclarait le 7 décembre 2021 au Sénat qu’en 1997, « le gouvernement du Canada a adopté une loi pour modifier le Code criminel afin que la mutilation des organes génitaux féminins soit reconnue comme une forme de voies de fait graves. Malheureusement, ces mesures législatives n’ont jamais été mises en application au Canada. ». En effet, une étude réalisée en 2016 par Sahiyo (ONG engagée dans la lutte contre l’excision en Asie) révélait que certaines femmes principalement issues de la communauté Dawoodi Bohra (musulmans chiites indiens) ont subi des MGF au Canada.
Qu’en est-il au Québec?
L’anthropologue Luce Cloutier et la médecin-sociologue Andrée Yanacopoulo nous relèvent dans leur ouvrage Silence, on coupe ! Les mutilations génitales féminines au Québec, paru en 2019, qu’environ 2 millions de femmes vivantes aujourd’hui ont été victimes de MGF. Lisons ensemble ce qu’elles écrivent :
« Parler de ces mutilations (peut-être plus connues sous le nom d’excisions), c’est exhumer un sujet quasi tabou, c’est bien souvent s’attaquer au sacro-saint « relativisme culturel ». Ces pratiques dites ancestrales et que certains souhaitent voir se continuer sont en fait barbares et ne sauraient être acceptées dans des sociétés soucieuses de respecter l’intégrité des corps et, dans la mesure du possible, celle des esprits.
Or, aujourd’hui, ce n’est plus seulement en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, etc. que les MGF se pratiquent, mais dans tous les pays de par le monde (c’est la conséquence des nombreux flux migratoires qui bouleversent la répartition jusqu’alors connue des populations). En France par exemple, on constate même que leur fréquence augmente depuis quelque temps, et le phénomène risque de se retrouver dans d’autres pays. On ne voit donc évidemment pas pourquoi le Québec ferait exception. D’autant plus que tout près de chez nous, dans la province voisine, des femmes ont ouvertement témoigné de l’existence de ces pratiques non seulement en Ontario, mais dans tout le Canada.
Des femmes immigrantes nous ont, quant à elles, fait cette demande inattendue : publiciser la question des MGF, elles-mêmes étant, de par leurs origines, dans l’impossibilité de le faire, car risquant ou craignant d’être alors mises au ban de leur groupe, ou encore victimes d’insultes ou d’attaques. Hé oui, nous ne le dirons jamais assez, ces pratiques se font ici, sur notre territoire et malgré l’interdiction formelle de la loi : de fait, selon le Code pénal canadien, elles sont punissables d’emprisonnement.
Nous croyons au respect des droits humains et le refus de telles pratiques en constitue un élément majeur. Nous refusons de laisser mutiler nos petites Québécoises au nom d’une tradition commandée, on le sait, par les hommes.
Plus spécialement, nous apparaît pressant et indispensable, pour les médecins et autres professionnels de la santé, de briser ledit secret dont ils se prévalent. Il n’y a là rien d’impossible : n’y sont-ils pas obligés en cas de maladie contagieuse, de sida, de pédophilie (dans certaines conditions), etc.?
Si votre voisin ou votre voisine vous annonce que leur petite fille va rendre visite à sa tante ou à sa grand-mère en Afrique, si la responsable de la garderie où va votre enfant vous révèle que telle petite élève est revenue après quelques jours d’absence et que son comportement semble perturbé, si de quelque façon que ce soit telle ou telle situation vous paraît louche, suspecte, n’hésitez pas : faites part de vos doutes à la Direction de la protection de la jeunesse, laquelle saura agir en douceur et en tout respect des personnes impliquées, vous y compris. Et sachez bien que « signaler » n’est pas « dénoncer ».
Quant à nous, nous avons travaillé plus spécifiquement avec des femmes africaines (pour la commodité de la langue) et aussi parce que ce sont elles qui ont commencé à mettre en place des groupes de lutte contre ces pratiques; nous voulons les remercier pour leur collaboration. Quelques-uns de leurs témoignages se retrouvent dans le livre. Elles n’ont toutefois pas encore obtenu les subsides nécessaires pour continuer le travail. Alors qu’en France ou encore en Belgique où des associations, des groupes travaillent sur ce sujet depuis plus de trente années, le financement est assuré par l’État.
Non, nous ne serons pas trop de toutes et de tous pour nous y mettre, chacun, chacune à sa façon. Oui, ensemble, nous pouvons briser le silence ».
L’ouvrage Silence, on coupe ! Les mutilations génitales féminines au Québec est disponible dans les librairies et les bibliothèques.
De plus, ne manquez pas d’assister à la conférence, d’environ 30 minutes, que ces autrices ont présentée sur l’état de la situation au Québec en octobre 2021 sur le site web de Pour les droits des femmes du Québec en accédant au lien suivant :
Révision linguistique : Bernadette Gilbert
Sources :
https://www.un.org/fr/observances/female-genital-mutilation-day
https://sencanada.ca/fr/content/sen/chamber/441/debates/008db_2021-12-07-f#68
https://m-editeur.info/silence-on-coupe%e2%80%89/
https://enfantsneocanadiens.ca/screening/fgm
https://endvawnow.org/uploads/browser/files/fgm_french.pdf
https://rm.coe.int/mutilations-genitales-feminines-et-mariage-force/16807baf90